Corsica.Doc #16 : Féminins/Masculins… Fictions/Documentaires…
Fluidité des genres oblige, exceptionnellement cette année, des films de fiction accompagneront les films documentaires pour cette programmation Féminins/Masculins. Sur cette question à la réalité parfois grave, des films de fiction apporteront un parfum de liberté et de plaisir décapants. Et c’est dans deux salles ajacciennes que le festival s’installera cette année, les quatre premiers jours à l’Ellipse cinéma et le week-end au Laetitia en centre-ville.
La statue hermaphrodite de notre affiche, dans un dégradé de bleu et de rose, exprime l’esprit dans lequel nous avons travaillé cette 16ème édition. Féminin et masculin en un même corps, à décliner en dégradés selon chacun… Voici le rêve, n’oublions pas la réalité. Dès les premières audaces d’Alice Guy avec ses Résultats du féminisme en 1906, jusqu’à Feu follet, la fantaisie gay de Pedro Joao Rodriguez en 2022: une trentaine de films nous la rappellent. Sans vouloir (ni pouvoir) faire le tour de la question, nous avons programmé des films « tous genres confondus », souhaitant ouvrir la réflexion sur cette complexe question qui ouvre celles du sexe, de la sexualité, du féminisme, du militantisme queer…. Sans oublier le désir et le plaisir.
A la programmation cette année:
Mathieu Lericq, Federico Rossin, Lucie Bonvin,
Annick Peigné-Giuly
Des avant-premières et des pépites du patrimoine
Nous ne pouvions ouvrir cette édition sans Alice Guy, première cinéaste femme et première cinéaste à aborder cette question frontalement en inversant les rôles sociaux homme/femme dans son court métrage burlesque : Les résultats du féminisme. Outre ces petites perles d’Alice Guy, celles de Jean Painlevé sur les mœurs des animaux aquatiques, ou d’Ernst Lubitsch (Je ne voudrais pas être un homme), l’autoportrait d’Ed Wood en travesti (Glen ou Glenda), les ciné-tracts féministes d’Agnès Varda en 1975, ou de Carole Roussopoulos. Et, plus récents : des portraits saisissants autant par leur transgression que par leur profondeur, réalisés par Shirley Clarke, Sébastien Lifschitz, Françoise Romand, Alexis Langlois, Virginie Despentes, le chef d’œuvre de Rainer Werner Fassbinder (L’année des 13 lunes) Et Joyland de Saim Sadiq (en avant-première), et pour finir en beauté Feu follet de Joao Pedro Rodriguez … Le mélange des genres à son comble, du comique au tragique, voire hot si vous l’aimez ainsi!
10 réalisateurs, auteurs, critiques accompagneront les films.
UN HOMME (ET) UNE FEMME
Le cinéma industriel a été un agent très puissant de normalisation et de codification selon le modèle bourgeois d'identification hétérosexuelle binaire : Hollywood et ses « succursales » ont fondé leur représentation sur l'idée du couple et de l'unité familiale composée d'un homme et d'une femme. Mais depuis sa naissance le cinéma a su aussi changer ses modes narratifs et esthétiques et refuser que la réalité elle-même soit présentée exclusivement comme un concept donné et soit disant naturel. Pour résister à ce système hégémonique de percevoir et figurer le monde, il y a toujours eu des artistes critiques qui se sont opposés par leurs choix esthétiques et politiques aux modèles normatifs. Les films de cette rétrospective remettent en question le système social hétéro-normatif et patriarcal, en déconstruisant notre modèle culturel et artistique. Ce sont des œuvres qui impliquent notre regard et le regard de ceux qui nous regardent, et, en dévoilant la dynamique interne à la société, ils la remettent profondément en question.
Federico Rossin
POUR UN CINEMA HERMAPHRODITE
« Il n’existe pas de vrai sexe », affirme le philosophe Michel Foucault au moment d’évoquer le cas d’Herculine Barbin au XVIIIe siècle, la première personne à être née femme mais ayant vécu (et étant reconnue civilement) en tant qu’homme. Si l’enjeu implique la dimension anatomique, l’assignation à un genre relève d’une catégorisation établie selon des normes juridiques, sociales et morales. En-deçà de ces codes existent bel et bien une dynamique possible et permanente, une multiplicité de comportements et d’identités, à la croisée du « féminin » et du « masculin ».
Ne serait-ce pas justement cette vérité intime et complexe dont seul le cinéma, art public et secret, dans un souffle urgent et révolté, peut s’emparer et témoigner ? Cette programmation répond en creux à cette hypothèse, aussi troublante qu’inspirante. Le panorama que nous proposons est l’occasion d’explorer le regard à la fois sensuel et politique posé sur le travestissement, la transidentité et/ou l’intersexualité par plusieurs cinéastes (Alice Guy, Ernst Lubitsch, Carole Roussopoulos, Rainer Werner Fassbinder, Shirley Clarke, Sara Gomez, Sebastien Lifschitz, etc.), chacun-e étant porté-e vers une ambition commune : inventer un langage cinématographique au féminin et au masculin pluriel.
Mathieu Lericq
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.