LE FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DOCUMENTAIRE D'AJACCIO # 13
Depuis treize ans, nous parcourons, de thématique en thématique, les questions qui taraudent notre société. Cette emprise sur le réel est le propre du cinéma documentaire. Pour cette treizième édition du festival, il nous a semblé important d’aborder une question qui secoue l’île de Corse depuis plusieurs décennies, la question de l’indépendance. Mais comme toujours, et plus encore dans le cadre insulaire qui est le nôtre, il s’agit de prendre de la hauteur et de se resituer dans le monde et dans l’ Histoire. Pour cela nous avons invité 40 films et 25 réalisateurs à nous donner à voir et à réfléchir ensemble, pendant les cinq jours du festival, sur cette question : la reconquête de son image pour un peuple en voie de décolonisation.
LES INDEPENDANCES EN IMAGES
Peut-on parler de cinéma algérien, de cinéma cubain, de cinéma africain… avant la libération du joug colonial? Dans l’euphorie libératrice des années soixante, un cinéma du « tiers monde » émerge, participant à la reconstruction culturelle et identitaire du pays. Durant les soixante décennies instables qui suivent, des cinéastes poursuivent ce travail de réappropriation, jusqu’à aujourd’hui encore… De l’autre côté du monde, en Occident, ce séisme révolutionnaire produit une onde de choc chez les jeunes cinéastes de l’époque.
Sans imaginer être exhaustif sur la représentation cinématographique des indépendances, nous avons sélectionné 22 films qui nous ont paru répondre à cette question : comment se réapproprier son image, celle de son pays, après et pendant la décolonisation ? 13 réalisateurs (trices) ou producteurs (trices) viendront accompagner leur film.
TABLES RONDES
Quelle vision du monde projettent les films de la compétition?
De grandes tendances se dessinent dans les films de la compétition: les films «de famille», les journaux intimes, les films de voyage, les films engagés sur de grands thèmes de société. Que dit cette nouvelle génération de réalisateurs sur l’intime et sur le monde ?
Débat animé par Annick Peigné-Giuly, directrice artistique de Corsica.Doc avec les jeunes cinéastes en lice pour les prix Nouveaux Talents.
Comment se réapproprier son image après l’indépendance ?
Entre les images festives du film de William Klein (Festival panafricain d’Alger, 1969) et le Romain algérien de Katia Kameli (2019), se sont écoulées cinquante années de décolonisations des systèmes politiques, des cultures et des esprits dans les pays dits alors du « tiers monde ». Cinquante années et des centaines de films qui sont autant de tentatives de réappropriation de l’image d’un peuple. C’est l’écume de ce long travail que nous montrons cette année.
Débat animé par Olivier Hadouchi, historien du cinéma, avec les cinéastes et productrice présents et le responsable de la cinémathèque d’Alger.
COMPETITION NOUVEAUX TALENTS
Signe de la vitalité du cinéma documentaire, le nombre de films inscrits à notre compétition augmente chaque année. Nous en avons sélectionnés 18, courts, moyens et longs métrages qui témoignent d’une riche diversité de formes et de sujets. Un scanner à vif de notre époque. 12 réalisateurs viendront accompagner leur film.
Le jury professionnel est composé de 4 personnes, une productrice, une programmatrice, un critique d’art et une responsable de France 3 Corse. Le jury jeune public est composé de 3 lycéens d’Ajaccio et 3 étudiants de Corte.
LE corsicadoc.LAB
Pour la première année, nous organisons un atelier professionnel, le corsicadoc.LAB : un tremplin pour le documentaire de création à la télévision.
Cinq projets de films documentaires ont été retenus, que les réalisateurs viendront défendre devant un jury de professionnels de l'audiovisuel. Deux diffuseurs: France 3 (Florence Jammot) et France 3 Corse (Vanina Susini), un producteur (Paul Rognoni), une responsable du documentaire au CNC (Valérie Fouques).
Un ou deux projets pourraient ainsi être retenus en vue d’une coproduction.
LE FESTIVAL "HORS LES MURS"
De plus en plus, Corsica.Doc dissémine ses projections hors du temps et du lieu du festival. Pour la première année, certains films de la programmation «Indépendances» seront repris dans deux villages de l’intérieur au cours du festival.
Festival panafricain d’Alger de William Klein à Bilia le vendredi 18 octobre à 19h30. La chasse au lion à l’arc de Jean Rouch le samedi 19 octobre à 20h00 à Sollacaro.
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.