LA 12ème EDITION DU FESTIVAL CORSICA.DOC S'EST CLOTUREE LE 25 OCTOBRE 2018. DES SUITES DE CETTE EDITION SONT PREVUES EN AVRIL 2019, EN CORSE, SUR LE CONTINENT ET EN LIGNE...
EDITORIAL
No future ou Now future?
No future ou Now future ? Par ce petit jeu de mots, se glisse notre inquiétude d’un avenir compromis par les actions déraisonnables d’un capitalisme débridé et notre constat perplexe d’une accélération inédite de l’Histoire. Le slogan punk des années 70 (No futur) serait-il d’actualité ? S’il s’agit d’alerter pour mieux enrayer, alors d’accord. Mais le Now future est tout aussi pertinent qui pointe le télescopage des temps entre aujourd’hui et demain. Face à ces menaces envers nos lendemains et ceux de nos enfants, des actes individuels de lanceurs d’alerte héroïques remplacent de plus en plus aujourd’hui les manifestations collectives... Voilà qui change la donne de la résistance.
LES FILMS DE LA THEMATIQUE
Une résistance qui passe entre autres par l’acte de mettre des mots sur ce futur incertain voire angoissant. Les débats sont vifs aujourd’hui sur le transhumanisme, l’Anthropocène... Les cinéastes, eux, mettent des images... Et quelles images ! 2001 Odyssée de l’espace donne la mesure de la puissance visionnaire d’un Stanley Kubrick projetant, il y a cinquante ans, la modernité et ses avancées technologiques dans les limbes tourmentées qui semblent les nôtres aujourd’hui. Ce chef d’œuvre du cinéma de science-fiction sera l’ouverture magistrale d’une sélection de films documentaires qui, eux aussi, balancent entre dystopie et utopie. Une vingtaine de films contemporains ou passés nous donneront à réfléchir sur ces questions vitales. Parmi eux, Out of the présent d'Andrei Ujica, Into eternity de Michael Madsen, Machine to machine de Philippe Rouy, mais aussi Disneyland mon vieux pays natal d'Arnaud Des Pallières ou Va Toto! de Pierre Creton. Un nécessaire débat entre cinéastes reviendra sur ces questions au cours du festival.
L'ATELIER SCOLAIRE
L’atelier scolaire lui aussi contribuera à la question de l’avenir avec un film choc, L’île aux fleurs, propre (si l’on ose dire) à réfléchir à la question des déchets. Ce court métrage de 1989, qui fut Ours d'argent au festival de Berlin, suit la commercialisation d'une tomate depuis une plantation dans le sud brésilien jusqu'à la gigantesque décharge à ciel ouvert de Porto Alegre : "l'île aux fleurs".
LE PETIT CINE
Deux séances «Petit ciné » aux couleurs de la science-fiction seront organisées pour les enfants, non pas pour les initier aux choses de la science-fiction qu’ils connaissent bien, mais de les éclairer, eux aussi, sur le rapport à la modernité. Pour les tout petis : avec des petits bijoux du cinéma d’animation tchèque (La petite taupe et la fusée/La petite taupe en ville) et le chef d’oeuvre de Georges Méliès (Le voyage dans la lune, 1902, ici colorisé et mis en musique par le maître de la techno, Jeff Mills). Pour les plus grands : Princesse Mononoké, épopée historique et initiative flamboyante de Hayao Miyasaki.
LA COMPETITION NOUVEAUX TALENTS
Parmi les 500 films que nous avons reçus cette année, nous en avons sélectionnés 16 longs, moyens et courts métrages, dont trois avant-premières, L'envers d'une histoire de Mila Turajlic, Amal de Mohamed Siam, Chjami e rispondi d'Axel Salvatori-Sinz. Ces films qui nous sont parvenus de tous les coins du monde (ou presque) nous remettront les pieds sur terre en déclinant sous forme de portraits, de voyages, de chroniques... tout ce qui fait le sel du cinéma et de l’humanité.
Annick Peigné-Giuly
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.