Thème ô combien d’actualité, la question des frontières traverse la programmation de la 9ème édition de notre festival. Traversées épiques et tragiques des frontières et des mers aujourd’hui, mais aussi allègres traversées des murs, des genres, des tabous, des barrières sociales. Dix films récents (dont cinq avant-premières) qui sont comme autant de passeurs aux semelles de vent. Lorsque nous avons décidé d’une programmation autour des « Frontières », la situation n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui : des milliers de réfugiés tentant de fuir leur pays en guerre. Un drame meurtrissant les pays du Proche Orient ou d’Afrique et touchant aujourd’hui l’Occident. L’art précède parfois la réalité.
Les cinéastes avaient depuis longtemps pris la mesure du danger, surtout pour ce qui concerne les cinéastes du Proche-Orient : cinéastes iraniens (Mitra Farahani avec Fifi hurle de joie ou Kaveh Bakhtiari avec L’Escale), ou irakien avec l’impressionnant Homeland de Abbas Fahdel.
Des films que nous tenons à montrer parce qu’ils parlent de cette situation de guerre ou de dictature vécue de l’intérieur, à la première personne. Tout comme le Palestinien, Kamal Aljafari, dont le film Recollection compose ici un poème à Jaffa, nostalgique et resplendissant. La moindre des choses étant de laisser la parole à ceux qui vivent, sur le front, cette réalité. Autre front, celui des artistes cubains longtemps enfermés dans leurs frontières. Esto es lo Que hay (de Léa Rinaldi) accompagne l'édifiante tournée mondiale d'un groupe de rappeurs cubains.
Et pour donner une profondeur historique à cette question des déplacements géographiques forcés, souvent violents, un court métrage lumineux du cinéaste espagnol José Luis Guerin, Le saphir de Saint- Louis. L’examen à la loupe d’un navire négrier du 18ème siècle.
Mais loin de nous l’idée de négliger les frontières invisibles. Les frontières sociales que discerne crûment, aux Etats Unis, le film de Roberto Minervini The other side ou, mine de rien, le film de François Farellacci et Laura Lamanda tourné en Corse, Lupino. Les frontières de genre aussi -pour dire vite- que saute avec douleur et ardeur le film de Emilie Brisavoine, Pauline s’arrache. Et pour amorcer cet aperçu des frontières et de l’au-delà des frontières, en ouverture, le film de Claire Simon, Le bois dont les rêves sont faits, une avant-première en présence de la cinéaste (film sélectionné au festival de Locarno). Un film qui vous plonge dans une zone étrange en marge de la ville, où des gens ordinaires se muent en êtres étonnants : le bois de Vincennes.
Douze films en compétition : des premiers ou deuxièmes films sélectionnés avec amour et rigueur par Corsica.Doc. Douze films dont nombre d’entre eux seront en salles dans les prochains mois. En compagnie des jeunes réalisateurs présents.
Série de 15 portraits de migrants et réfugiés réunie par l’association Sans A_
Photographes :
Salle d'exposition de l'Espace Diamant
Les frontières insulaires sont-elles des frontières comme les autres ? La mer exerce a priori des contraintes fortes sur les passages vers les îles puisqu’elle rompt la continuité territoriale.
L’histoire du peuplement des îles montre au contraire que la mer a été un vecteur de migrations et d’échanges culturels sous des formes très diverses.
L’actualité récente donne un visage dramatique aux frontières insulaires qui sont des voies d’accès vers l'Europe, avec son cortège de naufrages et de tragédies humaines.
Comment les populations insulaires investissent leurs rivages de récits multiples sur ces gens venus d’ailleurs ? Quels rapports entretiennent-elles avec l’altérité vécue à travers leurs frontières ? Les diasporas en provenance des îles emportent-elles dans leurs valises des éléments de ce patrimoine pétri d’expériences du métissage et de représentations parfois contradictoires de l’autre ?
Conférence animée par Marie Poinsot, rédactrice en chef de la revue Hommes et Migrations. Avec Marion Trannoy-Voisin, du Musée de Corte.
L’apparition du cinéma racontée en trois temps :
Avec leurs conséquences éthiques et esthétiques, jusqu’à aujourd’hui.
Conférence animée par Jean-Noël Cristiani, réalisateur et formateur aux ateliers Varan. La séance sera accompagnée d’extraits de films choisis.
* Phrase d’une des protagonistes du film des frères Maysles Grey Gardens. Albert Mayles disait : « cette phrase résume ma conception du documentaire ».
Possibilités, et difficultés de produire des documentaires de création. Un échange entre les jeunes réalisateurs présents animé par le producteur Arnaud Dommerc (Andofi)
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.