1963
Une couverture de laine tissée par une grand-mère tunisienne. Autour de cette couverture qui a traversé la Méditerranée, au fil de ce brin de laine transmis de mère en fille, s’élève la polyphonie des sentiments d’une famille qui vit des deux côtés de la mer, qui parle deux langues. En choisissant de ne pas « figurer » les paroles mais de les laisser courir sur ce fil entre deux rives, Amel El Kamel crée une sensible tension, attention aux mots, à la texture des mots. Ce language tout simple se fait universel. Comme pour la couverture, c’est sa simplicité qui rend ce film vraiment beau.
1963
Il marque un tournant dans la vie et l'oeuvre de Kazan. il choisit de travailler son cinéma différemment, avec une part plus intime de lui-même. Une voix off ouvre et clôt le récit, filmé en noir et blanc et sans stars, qui est celui du voyage de son oncle, de l'Anatolie à l'Amérique. Stavros Topouzoglou, le personnage principal d'America, America, est interprété par Stathis Giallelis un acteur non-professionnel grec qui fait ici sa première apparition à l'écran. Ce récit tiré de la réalité devient ici une fable autour du voyage iniatique d’un jeune grec naïf, mais aussi une grandiose épopée portée par le rêve américain des immigrés du début du XXème siècle. (A.P.G.)
2009
Ils viennent d’Azerbaïdjan, de Mongolie, du Congo, du Sri Lanka, d’Irak ou de Tchétchénie. Ils débarquent de partout, chaque jour, par familles entières, avec ou sans bagages, avec ou sans passeport, dans des charters ou des camions bâchés. Parmi eux il y a des femmes enceintes, des couples d’amoureux tellement jeunes qu’ils semblent être en fugue. Des vieillards a l’air digne et égaré. Ils ont le regard épuisé et fiévreux. On peut y lire à la fois une peur immense, une sorte d’hébétude et l’espoir le plus fou.
2009
A la nuit tombée, quelques jeunes Dakarois se retrouvent autour du feu, sur la plage. C’est là, sous le ciel noir entre la ville et l’océan, qu’ils se racontent leur désespoir d’être là et leur espoir de partir ailleurs. Dans les flammes leurs récits prennent des lueurs épiques. Tous écoutent Serigne, un d’une vingtaine d’années, qui a franchi le pas de la traversée clandestine. Et qui en est revenu, sauf mais sans avoir touché l’autre rive, celle de l’Europe rêvée. Il raconte à ses amis son odyssée tragique. Quelques temps plus tard, on les retrouve à la même place. Mais Serigne n’est plus là. Les bouteilles de bière tournent, les têtes aussi.
2004
C’est à travers la romanisation de l’écriture de l’alphabet imposé par le Protectorat français que le film de Christian Merlhiot, Cai Ho, le lac évoque la colonisation vietnamienne. Il laisse entendre, dans un deuxième temps, la désorientation de la langue française saisie dans les différentes retranscriptions d’un poème de Lamartine, Le lac. En combinant la lecteur qui vantent les mérites de cette avec de longs travellings tournés au gré du courant lent d’un fleuve vietnamien, le cinéaste flotte sur cette réalité que les mots ne savent plus comment nommer.Dans une deuxième séquence, une actrice-traductrice maltraite le poème de Lamartine, le lac, comme en représailles de la violence faite naguère à la langue colonisée.
2002
À travers le cri de ces jeunes Algérois, Haçla (la clôture) donne à voir et à entendre, dans l’horizon bas de la ville d'Alger noyée de grisaille, une société bloquée, refermée sur elle-même, où la parole tente de passer les clôtures. Il pleut sur Alger, et Tariq Teguia dessine sur les vitres mouillées d’une voiture en errance, une géographie de la colère et de l’impuissance.
2003
En Amérique du Nord, les Mexicains sont passés pendant des années par San Diego pour franchir la frontière, mais le Service d'Immigration américain est parvenu à stopper le flux des immigrés clandestins dans cette partie de la Californie et à le déporter vers les régions désertiques et montagneuses de l'Arizona. Là, ils ont cru que les difficultés, les dangers, le froid et la chaleur les arrêteraient... C’est avec De l’autre côté que Chantal Akerman clôt le 3ème volet de son triptyque après D’Est (1993) et Sud (1999). Elle est partie en équipe très réduite au Mexique, près de la frontière américaine, une frontière qui n'est pas simplement un trait sur une carte mais un mur et des barbelés dans le paysage... Les témoignages alternent avec de longs plans fixes des lieux. Ici commence, pour les Mexicains candidats à l’exil, une longue marche dans un désert inhospitalier. L'équipe du film passe alors de l'autre coté. Côté américain.
2009
« La Bovisa était un ancien quartier ouvrier dans la banlieue milanaise. A la fin des années 70, il a été confronté au démantèlement industriel. Ce documentaire est composé d’images que j’ai tournées personnellement au cours des années 1976, 1989, 1991, 2005, 2007 , 2008, 2009 . Le temps rapproche ces fragments de vie aux marges de la ville. En grande partie, le montage est conçu comme celui d’un film muet. Il n’y a que des visions, des images sans commentaire, afin de laisser l’espace à la poésie de la vie. »
Elvio Annese
2008
« Un ancien conte roumain guide un périple qui traverse une géographie émotionnelle, peuplée d’êtres déplacés, vivant une situation d’entre-deux : deux frères jumeaux séparés par mille six cents kilomètres d’un rêve d’Ouest, un jeune homme moldave subissant le calme occidental comme une pastille anesthésiante, une grand-mère vivant dans un pays dont le seul souvenir est celui d’une vieille chason, une jeune femme accomplissant un voyage comme le rituel d’un impossible retour. Entre documentaire et fiction, une variation sur la nostalgie (DOR) et le désir du retour, sans mélancolie pourtant… » Ramona Poenaru
2008
Les quatre récits de ce film nous entraînent de la Belgique aux rives du fleuve Sénégal, des Ardennes françaises aux montagnes du Sahara occidental. Ils nous guident à la rencontre de dormants. Des hommes et des femmes évoluant entre deux mondes, celui des absents et celui des vivants, entre deux états, celui de l’éveil et celui du sommeil.
1917
Sur le paquebot qui les emporte vers le « Pays de la liberté », ils sont nombreux, pauvres, affamés, hagards, qui viennent d’une Europe alors en pleine « Première guerre mondiale ». Tous les personnages de l’univers de Chaplin sont là : une belle jeune fille blonde (Edna Purviance) et sa mère malade, un grand gaillard acerbe et moustachu pris du mal de mer, quelques vauriens qui jouent aux cartes… Et Charlot le vagabond. Au rythme du tangage du bateau se succèdent les sketches burlesques qui n’entament pas le poignant tableau social brossé là, de peuples en quête de liberté certes, mais aussi de quelque richesse matérielle. L’arrivée au pays de la liberté est saluée par les officiers de l’immigration d’Ellis Island d’un bon coup de pied au derrière de notre Charlot.
1987
« L’Escale de Guinée, au titre splendide et juste comme le film, c’est l’escale de Franssou Prenant en Guinée, à Conakry. Elle ne sait même pas pourquoi elle est partie. La main calleuse du destin. Elle se doute seulement que voyager ce n’est pas regarder un coucher de soleil depuis son rocking-chair. Elle part c’est tout. En Afrique, peut-être parce que son prénom sonne comme un prénom africain, mais ça, elle ne le dit pas. Si sûre de rien, sauf de l’incongruité mystérieuse de partir, elle peut alors vivre et raconter ce voyage dans les meilleures dispositions qui soient. On pourrait transposer son état à celui du meilleur écrivain qui commence un livre en sachant la grandeur et l’inutilité de la littérature. Je ne fais que me déplacer, dit-elle comme l’écrivain qui dit : « je ne fais qu’écrire un livre. » Elle parle et montre ce qu’elle vit, a vécu, aurait voulu vivre là-bas avec deux piliers : la vérité de son état d’âme du moment et l’idée constante de ne pas nous raconter n’importe quoi qui nous tromperait sur ce qu’est un voyage en Afrique, une escale dans une vie. Elle réécrit des mots magnifiques qu’elle dit facilement puisqu’ils sont justes. Et sa voix sonne comme un tam-tam. » (Christine Van de Putte, extrait)
1970
Dans la nuit du 31 décembre 1969, cinq travailleurs noirs meurent asphyxiés dans un foyer pour travailleurs immigrés à Aubervilliers. Dans le contexte de l’après 68, ce drame va connaître un retentissement national à la fois médiatique et politique. Marcel Trillat et Frédéric Variot, au sein d’une coopérative fondée par des journalistes chassés de la télévision après les évènements de Mai 68, Scopcolor, réalisent alors Etranges Etrangers, un documentaire qui montre sans fard les bidonvilles et taudis d’Aubervilliers et de Saint-Denis, et qui comprend un morceau d’anthologie : un entretien avec Francis Bouygues, le patron du BTP.
1998
Plus de dix ans et quelques autres films plus tard, ce court film apparaît comme un premier geste de cinéma qui est celui que l’on reconnaît, de Tariq Teguia. La profonde mélancolie mêlée de rage à peine contenue qui baigne ses films suivants est déjà là. De longs travellings heurtés balaient le paysage de constructions inachevées, d’usines désaffectées, de plages désertées, de tiges d’acier plantées dans des blocs de béton, de structures métalliguqes désossées. La bande-son fait sonner en continu les bruits métalliques de chantiers en une symphonie ruisselante de détresse. L’image vient s’ajuster au son et, comme des silences lourds sur cette partition, des photographies noir et blanc font surgir un visage, un lieu en attente. Quelques fragments de textes s’intercalent dans les images « Machine à survivre », « Subversion d’usage », « Biens vacants »…. Ferrailles d’attente est une métaphore de l’Algérie de Téguia, une sorte d’essai philosophique en images, un « après le déluge » rimbaldien, une méditation sur le monde. En chantier ou en perdition ?
2008
Des femmes, des hommes et des enfants, Roms, Togolais, Géorgiens, Kosovars ou Colombiens, affluent chaque semaine aux portes de la Suisse. Ils fuient la guerre, la dictature, les persécutions ou les déséquilibres climatiques et économiques. Après un voyage souvent effectué au péril de leur vie, ils sont dirigés vers l’un des cinq Centres d’enregistrement et de procédure parmi lesquels celui de Vallorbe. Dans ce lieu de transit austère, soumis à un régime de semi-détention et à une oisiveté forcée, les requérants attendent que la Confédération décide de leur sort.
1988
Ici : la France, 1987. Là-bas : l’Algérie, 1963. Entre les deux, Dominique Cabrera grandit et se fait sa propre idée de la guerre d’Algérie et du départ des pieds noirs. Entre les deux, il y a ses parents qui ont gardé le même sentiment d’injustice et n’ont pas accepté que l’Histoire bouleverse ainsi leur vie. Entre ces deux dates, entre ces deux pays, entre ses deux parents, Dominique Cabrera tente de forger une réflexion qui tienne compte de ses convictions politiques de femme « de gauche », et de l’intime compréhension qu’elle a de la douleur de ses parents. Comment vivre avec cet héritage ? Dominique Cabrera interroge ici ses propres parents.
2009
Inland raconte une histoire: celle d’un topographe d’une quarantaine d’années, Malek, que l’on charge de reprendre les tracés d’une ligne électrique dont la construction a été abandonnée depuis une dizaine d’années parce qu’elle traversait une zone de l’Ouest du pays terrorisée par les islamistes. Malek y trouve l’empreinte des violences du passé, des violences qui couvent toujours et peuvent renaître à chaque instant. La peur et la mort planent. Malek y rencontre une jeune Malienne, Mellila qui cherche à aller vers le Nord. Il décide de l’aider.
1999
La steppe kazakhe dans son immensité désolée. A gauche, une citerne. A droite un bidon. Au milieu, un veau. Attiré par le contenu du bidon, l’animal se penche et lape joyeusement. Enhardi, il enfonce profondément sa tête dans le contenant métallique. Ce qui devait arriver arrive: le veau assoiffé se retrouve coincé dans le bidon – c’était écrit depuis Esope. Deux enfants, puis un troisième plus petit, puis le papa, et la maman entrent successivement dans le champ pour aider l’imprudent à se défaire de son heaume hermétique. Corrida kazakhe! Et bing contre la citerne! Et meuh! Il y a du slapstick dans cette scène comique, mais qu’un metteur en scène: le hasard. Cette première séquence de Paradise résume l’art de Dvortsevoy : savoir filmer avec le hasard. Et capter ce qui se passe parfois, là-bas, au fond de la steppe kazakhe.
1974
En 1973, la même année qu’Alice n’est plus ici, Scorcese réalise ItalianAmerican un documentaire tourné avec ses parents, dans l’appartement new-yorkais où il avait grandi. A l’origine, ce film devait faire partie dans une série intitulée Storm of strangers (tempête d’étrangers) consacrée aux immigrants et aux minorités raciales. Tourné dans le temps imposé d’un déjeuner familial dominical ordinaire, autour d’un plat de spaghetti, ce film apparemment modeste recèle une bonne partie de ce qui fait le talent et la matière romanesque du cinéaste. Le rapport de tendresse moqueuse qui règne chez les Scorcese, la dualité vitale de ces migrants siciliens, la personnalité de maman Scorcese…
1993
Voyage aux sources de la culture rom, où Tony Gatlif, gitan d’origine algérienne, passe en revue toutes les déclinaisons et toutes les instrumentations possibles de la musique tzigane à travers du Nord-Ouest de l’Inde, en passant par l’Egypte, la Turquie, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie et la France. Mille ans d’histoire marquée par la haine et le rejet de ces peuples qui jouent leur vie et expriment leurs sentiments jusqu’à la folie. "Latcho Drom" signifie "bonne route ».
1998
Le film raconte l’histoire de Toussainte Ottavi-Wurmser. Née avec ce siècle, Toussainte est originaire d'un village de Corse du Sud, Ventosa. Dans les années 20, elle entame une carrière d'institutrice, au Maroc d'abord, puis en Indochine. Elle revient prendre sa retraite au village dans les années 60. Avec l'arrivée des pieds-noirs, c'est une époque de cassure et de mutation pour l'île qui conduira 15 ans plus tard à la montée des mouvements autonomistes puis nationalistes. Toussainte meurt, le 22 août 1975, le jour d'Aleria, date symbole de l'Histoire corse. À travers les lettres adressées à son frère Jean, c'est une partition à une voix avec son intimité et sa pudeur, ses non-dits et ses ellipses.
1992
À la recherche des solutions pour lutter contre la sécheresse au Niger, Lam, Damouré et Tallou partent en Hollande, le pays de l’eau et des moulins. Ils ramènent dans leurs bagages un ingénieur néerlandais et le moulin démontable dont il est l’inventeur. Les péripéties de l’installation de cet engin moderne fournissent à Jean Rouch une libre narration où sa poésie et son humour font merveille sans pour autant trahir le regard ethnographique. Ce film a reçu le prix international de la Paix à Berlin en 1994.
1980
« Mme veuve Isoppo, ma mère, fait le récit de son histoire d'amour avec Mr Isoppo, mon père. » C’est ainsi que Daniel Isoppo résume ce court film travaillé au plus près de l’univers familial. Dans les années trente, près de Grenoble, une jeune fille, fille de bistrotier, rencontre un immigré italien sans papiers. Il la fait danser comme personne. Il lui apprend l’amour. Elle deviendra Mme Isoppo. Cinquante ans plus tard, Mme Isoppo désormais Veuve Isoppo entreprend la récit de toute une vie, la rejouant devant la caméra de son fils. Mise en scène dans ses lieux, ses objets, elle est comme un personnage d’un vieil album de photos de famille que l’on ne peut regarder sans sentir le souffle du temps. Daniel Isoppo a réalisé là un petit bijou de tendresse filiale, de respect pour une si belle histoire d’amour, pour deux belles personnes qui ont construit leur vie sur un véritable élan amoureux, qui ont traversé l’Histoire dignement. Dans la sublime modestie de « petites gens » comme disent certains.
1985
Ce documentaire est le second film d’une trilogie entamée avec La mémoire fertile (1980) et bouclée avec Noce en Galilée (1987). Le film décrit la journée rituelle de l’année où des anciens villageois palestiniens reviennent sur les ruines de leur village de Maaloul, qui fut détruit par l’armée israëlienne en 1948. La cruelle ironie étant que ceux-ci n’autorisent l’entrée des lieux aux Palestiniens que le jour anniversaire de la création de l'Etat d'Israël.
2009
« Le marcheur ne choisit pas les sentiers pour faire des rencontres. Elles sont rares sur ces chemins que presque personne n’emprunte plus. Si c’était le but de sa marche, il serait parti dans un pays où les chemins sont fréquentés, car utiles à la vie. Souvent je marche, en compagnie d’une caméra. Des paysages que je rencontre me donnent envie de raconter des histoires à mes enfants. Des histoires de cinéma. « L’art du sommeil », disait Langlois. Comme la marche ? » (Jean-Noël Cristiani)
2008
Afghans, Irakiens, Palestiniens, Kurdes, Soudainais, six ans après la fermeture du centre de Sangatte, ils sont toujours aussi nombreux. Seulement 4 à 5% d’entre eux obtiendront le statut de réfugié en Grande-Bretagne. Les autres seront condamnés à la clandestinité. A part quelques associations de bénévoles, la population les ignore, feint de ne pas les voir. Les chaînes thématiques conscrées aux actualités ont parfois des « absences ». Des images et des sons bruts d’évènements sont livrés sans explication, juste avec un encart indiquant le lieu et éventuellement la date, l’intuition étant que ces images et ces sons seuls trahissent quelque chose du réel que les mots étouffent, qu’il y a une information spécifique et précieuse dans la nature informe des matériaux. No comment procède de cet esprit..
2009
Trois personnages sillonnent l’Europe d’aujourd’hui. Un jeune cadre supervise la délocalisation d’une usine. Une étudiante joue au reporter en attendant l’appel d’un amour perdu. Un Kurde et son fils essaient de rejoindre l’Angleterre clandestinement. Vers l’est ou vers l’ouest, en camion, en business class, en stop, en train, avec ou sans papiers, à travers l'Europe contemporaine, chacun en quête de sa terre promise. Prix Jean Vigo 2008.
2008
La « carrière Fontblanche est l’un des derniers bidonvilles de France en bordure de Cassis. Un village sans nom, sans enfants, ni femmes, qui abrite des Tunisiens venus dans les années 1970, contrat en main, pour construire les villas de la cité balnéaire. En octobre 2005, le village improvisé et insalubre où ils habitent depuis 35 ans est détruit pour être remplacé par une résidence sociale. Ce documentaire donne la parole à -certains de ces hommes fragilisés par des année d’exil, de sacrifices, d’abnégation de leur vie pour subvenir aux besoins de leurs familles restées au pays. Ils ont fini par faire une vie ici, dans ces cahutes de fortune et même une sorte de village. La perspective du nouvel habitat est pour eux un nouveau déchirement.
1995
La steppe kazakhe dans son immensité désolée. A gauche, une citerne. A droite un bidon. Au milieu, un veau. Attiré par le contenu du bidon, l’animal se penche et lape joyeusement. Enhardi, il enfonce profondément sa tête dans le contenant métallique. Ce qui devait arriver arrive: le veau assoiffé se retrouve coincé dans le bidon – c’était écrit depuis Esope. Deux enfants, puis un troisième plus petit, puis le papa, et la maman entrent successivement dans le champ pour aider l’imprudent à se défaire de son heaume hermétique. Corrida kazakhe! Et bing contre la citerne! Et meuh! Il y a du slapstick dans cette scène comique, mais qu’un metteur en scène: le hasard. Cette première séquence de Paradise résume l’art de Dvortsevoy : savoir filmer avec le hasard. Et capter ce qui se passe parfois, là-bas, au fond de la steppe kazakhe.
2008
Qadir est un réfugié afghan venu, il y a neuf ans, chercher une terre d’asile en Grèce après que les talibans eurent envahi sa ville. Il y a trouvé du travail, un logement mais aujourd’hui, il veut retrouver sa famille dont il n’a aucunes nouvelles. C’est ce retour au pays que suit la réalisatrice, se mettant elle-même en scène dans ce périple dans une terre toujours en guerre. Elle partage avec Qadir la longue enquête qui le mène dans différentes villes afghanes avant de retrouver sa famille dans un village de montagne. Le pays traversé est détruit, les gens semblent perdus, les talibans sont partout, les armes de guerre, la misère, aussi. C’est le regard d’un Qadir qui retrouve sa peur d’enfant obligé de fuir que nous transmet le film. C’est aussi celui de la cinéaste, obligée de revêtir le tchador bleu pour circuler avec son compagnon. Le film vaut pour l’incroyable aventure de ces deux personnages projetés au pays des talibans et pour la rencontre avec la famille de Qadir. Un grand moment de beauté dans un univers de sauvagerie moderne.
1979
Désormais monument national, Ellis Island est un ilôt de quatorze hectares, situé à quelques enc^blures de la point sud de Malhattan. A partir de 1892, il fut le passage obligé de la grande majorité des candidtas à l’immigration aux Etats-Unis. En 1924, seize millions de personnes en provenance d’Europe avaient transité par le Centre d’immigration d’Ellis Island, plus de trente millions à sa fermeture en 1954, et à l’heure actuelle, 40% des Américains comptent, parmi leurs ascendants directs, au moins l’une d’entre elles. En 1978, Robert Bober et Georges Perec ont voulu restituer ce que fut Ellis Island. C’est à dire, pour Perec « le lieu même de l’exil, le lieu de l’absence de lieu, le non-lieu, le nulle part ». Ils sont allés sur place, filmer ce qui restait de cette « porte d’or » que les immigrants avaient surnommée « l’île aux larmes ». Ils voulaient également comprendre en quoi et pourquoi ils se sentaient tous deux aussi directement concernés. Ainsi, au-delà d’Ellis Island, ces Récits sont une formidable réflexion, sur l’exil d’abord, avec sa part d’errance mais d’espoir aussi. Et sur la puissance symbolique des lieux de mémoire.
2006
« Les nouvelles du cinéma algérien se font rares. En voici une, excellente. Le motif du film n'est pas inconnu : un pays-prison, à la beauté captivante, à l'horizon irrémédiablement fermé, avec sa jeunesse qui tourne en rond et voudrait faire exploser les murs en rêvant d'exil. Sauf que cette histoire, on ne nous l'a encore jamais racontée comme ça, de manière si moderne, si inspirée, si altière, en un mot si remarquable pour un premier long métrage. Un soupçon de Beckett, pour l'attente prolongée et l'absurde circulaire façon Godot. Une pincée de Godard pour l'art inattendu de mettre malgré tout les choses en rapport et en mouvement, à la manière d'un transport clandestin du désir. En l'occurrence, pour faire simple, celui d'un garçon et d'une fille. Lui, c'est Kamel, elle Zina. Il a la rage au ventre, elle est gracieuse comme une gazelle. Ils sont jeunes, ils sont beaux, mais ils sont malades, d'une maladie qui leur ronge le coeur et qui s'appelle la mélancolie. Ils s'ennuient à mourir, se vivent comme incongrus dans ce paysage d'azur et de cendres, perclus de douleur, embourbé dans la léthargie de ce qui ne change jamais. » (extrait. Jacques Mandelbaum, Le Monde).
2008
Kazim Öz a suivi pendant plus d’un an le quotidien des Shawaks, sa tribu, peuple kurde semi-nomade vivant au rythme des transhumances et des caprices de la montagne. Avec eux, une armée invisible et muette –milliers de moutons, mules et chevaux chargés à en crever- que le cinéaste scrute en une série de travellings inouïs de beauté, à flanc de près, ruisseaux et montagnes, dans la boue, la poussière ou la glace. « Dans la culture shawak, les hommes, les animaux et la nature vivent en parfaite harmonie. Impossible de ne s’intéresser qu’aux humains sans trahir ce grand tout. » précise l’auteur. L’élégie pastorale laisse bientôt place à une sorte de mélodrame animal halluciné et silencieux. (Extrait. Vincent Malausa. Les Cahiers du cinéma)
2006
Chaque été, ils sont nombreux à transiter par la mer entre la France et l’Algérie. De l’Algérie vers la France, ici. Les voitures sont chargées jusqu’au capot, valises et paquets s’entassent sur le pont. Dans l’entre-deux de la traversée, les conversations dans les cabines, les salons ou sur les ponts parlent toutes de départ et de pays. Certains vont en France pour la première fois, d’autres terminent de brèves vacances au « bled ». Les plus âgés transportent avec eux les récits de la vie en France et l’espoir de trouver un avenir. Celui qui « monte » pour la première fois écoute et apprend de celui qui a déjà « traversé ». Avec l’humour de la lucidité ou du fatalisme, et la conscience du déchirement, une autre manière de dire et de voir l’immigration prend forme dans le temps du voyage. Un passager rêve : « l’idéal serait de faire de deux mondes un troisième monde »
2006
Un voyage initiatique à 91 ans ? C’est possible et Aimé Lazarevski nous le prouve avec élégance. Pendant des années, il a planifié minutieusement un voyage au Maroc. Mais sa femme ne veut pas entendre parler de voyages. Seule la musique l’emporte très loin. Alors c’est le petit fils, Georgi qui l’y emmène enfin, caméra à la main. On suit le vieil homme qui découvre le monde après avoir consacré sa vie au violon d’orchestre. La curiosité et la générosité de son regard intactes, il en reviendra transformé. La finesse du cinéaste a été de ne pas oublier sa grand-mère dans ce périple. Elle est une sorte de contrepoint malicieux et sublime. On peut aussi voyager dans un divan de cuir, en écoutant de la musique. (APG)
2008
Kady a 50 ans. Elle est arrivée de Côte d’Ivoire il y a 17 ans et elle élève seule ses 7 enfants à Paris avec un salaire de femme de ménage. Entre la joie et le désespoir, elle se bat quotidiennement pour qu’ils ne supportent pas ce qu’elle a enduré. « Même les blancs n’auraient pas supporté tout ça ! », dit-elle.
2007
Le film se déroule dans la maison de retraite Notre-Dame-des-Douleurs à Jérusalem. Ici vit l’énigmatique Jad, un vieil homme éternellement coiffé d’un bonnet et toujours en vadrouille. La construction du mur de sécurité, qui passe juste devant l’entrée du bâtiment, ne facilite pas le quotidien du home. Comme celui-ci se retrouve en zone israélienne, de nombreux pensionnaires voient s’espacer les visites de leurs proches qui résident pour la plupart en Cisjordanie et peinent à obtenir des laissez-passer. Quant au personnel, il doit effectuer un parcours du combattant pour venir travailler. Par des petits riens - un camion coincé, des graffitis désabusés -, le film suggère les tracas quotidiens de cette petite communauté coupée du reste du monde.
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.